Plusieurs choses peuvent décrire une région ou un territoire. Pour l’Abitibi-Témiscamingue, une des choses à laquelle on est très souvent associé c’est la chanson La Bittt à Tibi de Raôul Duguay. Fréquemment, lorsqu’on parle à une personne de l’extérieur et qu’on lui parle de notre région, ce qui lui vient tout de suite en tête, c’est cette chanson : « Moi je viens de l'Abitibi, moi je viens de la Bittt à Tibi, moi je viens d'un pays qui est un arbre fort, moi je viens d'un pays qui pousse dans le Nord…Tam didelam tadlédidelidelam ». Cette chanson culte québécoise aussi définit comme le cri de ralliement de tous les Abitibiens, peu importe la génération.
Dans ce billet de blogue, je vais d’une part parler du contexte politique et culturel qui entoure la chanson La Bittt à Tibi de Raôul Duguay. Il s’agit de la deuxième partie du billet de blogue sur cette chanson. Pour lire la première partie qui traite de la chanson elle-même et de l’auteur, cliquez ici.
Contexte politique
Il y a eu un avant et un après Révolution tranquille
Avant d’écrire la chanson, il y a eu tout un processus au niveau de la société québécoise pour arriver à ce que Raôul Duguay puisse pleinement s’émanciper en tant qu’artiste et écrire sa fameuse chanson La Bittt à Tibi en 1975. C’est intéressant de se plonger dans le contexte politique qui entoure un artiste et sa chanson.
Après la Grande noirceur, qui correspond à l'après-guerre (1944-1959), Jean Lesage prend le pouvoir avec le Parti Libéral du Québec de 1960 à 1966. C’est le temps de la modernisation de l'État, ce qui permet à l’identité québécoise de s’affirmer de plus en plus. La mission de Jean Lesage est de faire un Québec plus fort. C’est alors que le mot «Québécois» prend tout son sens. L’émancipation québécoise était d’une importance capitale à cette époque, le peuple se libérait des mains du Clergé. Le gouvernement était plus interventionniste et favorisait le domaine social, culturel et économique. C’était donc le début d’une certaine liberté pour les Québécois.
Expo 67 : Terre des Hommes
Quelques années après la Révolution tranquille, un autre événement est venu donner un bon coup de main au Québec pour l’émancipation tant désirée. Cet événement est l’Expo 67. L'exposition universelle de 1967 qui s’est déroulée à Montréal est la première de son genre à se dérouler en Amérique du Nord. Nommée Terre des Hommes, l'exposition a pour but de démontrer toutes les activités de l'homme contemporain et de promouvoir la mondialisation. Les retombées culturelles et sociales de l’Expo sur la population québécoise qui en est encore à vivre la Révolution tranquille sont importantes, mais difficiles à calculer tandis que les retombées économiques, qui furent colossales pour le Canada, sont plus faciles à calculer. Toutefois, pour Raôul Duguay cet événement a été sans contredit une grande poussée vers la liberté des Québécois. Lors de mon entrevue avec lui, il m’a avoué « Ce qui a été un très grand coup pour la liberté des hommes, ça a été l’évènement Terres des hommes (Expo 67). Je pense qu’on s’est déniaisé nous les Québécois […] Ça nous a donné le sentiment qu’il fallait qu’on pousse la porte et qu’on prenne la place. Et ça nous a donné deux autres choses, à la fois un sentiment de fierté d’être capable de recevoir le monde entier sur nos terres et en même temps une sorte de leçon d’humilité parce qu’on découvrait qu’on était colonisé.»
Ces éléments majeurs ont permis à Raôul Duguay de pouvoir s’exprimer librement et devenir l’artiste qu’il souhaitait.
Contexte culturel
L'identité des Québécois s'affirme. C'est l'éclatement d'une culture luxuriante.
On peut compter deux temps d’évolution pour la culture québécoise pour cette époque. D’une part, de 1960 à 1966, le gouvernement fait la création du ministère des Affaires culturelles par Georges-Émile Lapalme. On s’intéresse donc de plus en plus à la culture du Québec. On souhaite créer un climat de culture et promouvoir un sentiment de fierté pour notre langue. La chanson devient un moyen très important pour l'affirmation des Québécois. Les artistes se basent sur la culture québécoise en constants changements durant la Révolution tranquille et font de la musique engagée.
En Abitibi-Témiscamingue, au début des années 1960, les activités culturelles relèvent d'évènements spontanés. Un peu de théâtre et de troupes musicales se font connaître dans la région. Malheureusement, l'éloignement de la région rend difficile la reconnaissance provinciale, mais la création du ministère des Affaires culturelles du Nord-Ouest facilitera la diffusion de la culture abitibienne dans les années suivantes. Lors de mon entrevue avec Raôul Duguay, je lui ai demandé s’il était facile de vivre d’une vie d’artiste en région dans ce temps-là. Voici ce qu’il m’a répondu : « Ça dépend toujours de comment les choses se passent, moi j’ai commencé ma carrière ici (en parlant de Montréal) comme poète. Sur ce plan-là, et même comme chanteur, il n’y avait pas beaucoup d’avenir en Abitibi. Parmi les meilleurs chanteurs, il y en a pourtant plusieurs qui viennent de l’Abitibi, mais ils ne pouvaient pas y habiter. L’Abitibi c’est loin une fois que tu as fait les trois, quatre grandes villes… »
La montée de la contre-culture
Dans un deuxième temps, après 1967, c’est l’époque de la révolution sexuelle, des communes, des drogues, celle des «hippies» et du «flower power». Le mouvement musical s’intensifie. On veut maintenant atteindre le plus de gens possible, donc les artistes innovent et se lancent dans la création. On délaisse la tradition et la poésie engagée et l'on s’imprègne surtout de la contre-culture, un mouvement qui surgit de l'Empire américain.
En Abitibi-Témiscamingue, il est désormais plus facile de diffuser sa culture en région grâce à la création de nouvelles institutions culturelles. Avec la construction de la Confédération de centres culturels dans certaines villes de la région, il est désormais plus facile de diffuser les créations des artistes régionaux. La vie culturelle de la région prend son élan grâce aux Conseils régionaux de la culture qui vise le développement social et économique.
Le contexte politique et culturel d’autrefois a permis aux artistes québécois d’hier et d’aujourd’hui de repousser des frontières et de se libérer dans leur création. Raôul Duguay est définitivement un symbole de liberté artistique et nous se compter chanceux, en tant qu’Abitibien d’avoir un hymne comme la Bittt à Tibi.
Saviez-vous que… Un message politique s'insère dans sa chanson. Dans son dernier vers, les mots les plus importants sont «colonisé à libérer», où il fait référence à la souveraineté. Lors de son entrevue Raôul Duguay affirme: «Il faut préserver notre langue, si on la perd, on perd la culture. Ça passe par la souveraineté. Je ne vais enlever colonisé à libérer que lorsque le Québec sera un pays.»
Ce billet de blogue m’a été inspiré par un ancien projet de Cégep que j’ai réalisé dans le cadre de mon cours d’histoire avec ma professeure Isabelle Lauzon. Toutes les informations de ce billet de blogue sont le fruit de plusieurs recherches et d’une entrevue avec Raôul Duguay lui-même en 2016.